L’or noir et les Trésors provinciaux

La chute du prix du pétrole a été marquante pour l’économie canadienne au cours de la dernière année. Les perspectives pour ce secteur, qui représente 6,5 % du produit intérieur brut (2015), se sont beaucoup assombries. La persistance des faibles cours aura mené à un fort repli des investissements des entreprises et à la disparition de dizaines de milliers d’emplois dans les provinces productrices. Au cours d’élections récentes, les citoyens ont manifesté leur mécontentement en chassant du pouvoir les gouvernements conservateurs de l’Alberta et fédéral du Canada.

La croissance du PIB du Canada de 1,2 % en 2015 a été bien inférieure à la prévision de 2,1 % du gouvernement conservateur fédéral du budget d’avril 2015. Notre prévision de croissance pour l’ensemble de l’économie canadienne est de 1,8 % pour 2016, ce qui est légèrement supérieur à celle publiée par la Banque du Canada dans son rapport sur la politique monétaire d’avril (1,7 %). De plus, l’incidence des feux de forêt sur la production de pétrole en Alberta pourrait diminuer légèrement ces prévisions.

 

Survol des budgets provinciaux

 

 

À la lecture des documents budgétaires provinciaux, on constate que la croissance économique prévue varie considérablement d’une province à l’autre. Pour l’Alberta et Terre-Neuve-et-Labrador, dont l’activité économique repose en grande partie sur la production de pétrole, les prévisions sont les plus pessimistes. Les prévisions projettent une deuxième année consécutive de décroissance en 2016-17. Les résultats budgétaires pour l’exercice complété en mars dernier ont été désastreux pour ces provinces et malheureusement, le seraient tout autant pour l’exercice 2016-17. Qui plus est, les impacts liés aux feux de forêt à Fort McMurray ajouteront malheureusement au déficit pour l’exercice en cours de l’Alberta.

Les efforts de diminution des dépenses au Québec, en Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse ont porté fruits. Dans le cas des deux premières, l’exercice 2016-17 prévoit à nouveau des surplus, tandis que selon les documents budgétaires de l’année dernière, le gouvernement néo-écossais prévoit un retour à l’équilibre et des surplus pour les années suivantes, une position enviable pour la province maritime.

En Ontario, les résultats de l’exercice 2016-17 seraient les derniers écrits à l’encre rouge. Le surplus prévu en 2017-18, qui se fait attendre depuis longtemps, sera le premier depuis l’exercice 2008-09. Il n’est toutefois pas impossible que les résultats soient meilleurs que prévu puisque le gouvernement a été plutôt prudent dans ses projections de croissance et qu’il a créé un fond de prévoyance. Élément favorable, on prévoit que la province demeurera en tête de peloton au niveau de la croissance du PIB à nouveau cette année.

Les budgets du Manitoba et de la Saskatchewan seront déposés après la rédaction de cet article mais selon l’information disponible, au Manitoba, l’arrivée d’un nouveau gouvernement le 19 avril dernier laisse présager des résultats plus sombres que prévu et un autre report de l’équilibre budgétaire. Rappelons que le gouvernement précédent avait déjà profité de la mise à jour financière en mars dernier pour augmenter le déficit prévu pour l’exercice 2015-16 et reporter d’un an le retour à l’équilibre, soit à l’exercice 2019-20.

 

Date prévue de retour à l’équilibre

 

 

Les électeurs en Saskatchewan furent les seuls à ne pas « voter pour le changement » lors des récentes élections provinciales. Le gouvernement du premier ministre Brad Wall, chef du Parti de la Saskatchewan d’allégeance conservatrice, est demeuré au pouvoir et publiera ses prévisions budgétaires le 1er juin prochain. La diminution du prix du pétrole aura interrompu la suite de surplus budgétaires de la province lors de l’exercice 2015-16 et en 2016-17. Reste à voir ce que le gouvernement prévoira pour la croissance des autres secteurs de son économie.

La province du Nouveau-Brunswick a, de nouveau, repoussé la date de l’atteinte de l’équilibre budgétaire en dépit des hausses d’impôts et de taxes et des réductions de dépenses. Bien que prudent quant à ses prévisions de croissance, le gouvernement de la province doit conjuguer avec les effets des changements démographiques et chercher néanmoins à augmenter ses revenus autonomes.

 

Budget fédéral et impact sur les budgets des provinces

À son arrivée au pouvoir, le gouvernement de Justin Trudeau a été confronté à des résultats financiers fort différents de ceux prévus dans le budget du précédent gouvernement. Le nouveau gouvernement fédéral a présenté un budget prévoyant une augmentation des dépenses pour stimuler la croissance résultant en des déficits élevés. Si les projections gouvernementales s’avèrent, le retour à l’équilibre ne surviendra pas avant la prochaine décennie; bien que le gouvernement joue de prudence avec des fonds de prévoyance substantiels, aucune date de retour à l’équilibre n’a été prévue dans le budget, soit un horizon qui nous amène au-delà de l’exercice 2020-21.

Avec sa cote de crédit AAA, le Canada est dans une position qui offre passablement de flexibilité lorsqu’on compare son niveau d’endettement à celui des pays de même notation. En dépit d’une accumulation de déficits de plus de 100 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années, le taux d’endettement n’atteindrait qu’un maximum de 32,5 % du PIB à la fin de la période.

Les gouvernements provinciaux sont au fait de la bonne santé financière du gouvernement fédéral. Dans ce contexte, certains gouvernements provinciaux, notamment ceux de l’Alberta et de Terre-Neuve-et-Labrador, espèrent des injections de fonds émanant du gouvernement central. La Banque du Canada, bien que prête à intervenir davantage pour stimuler l’économie, espérait aussi un effort budgétaire substantiel du nouveau gouvernement fédéral. En plus des programmes d’infrastructure qui seront précisés au cours des prochains exercices, le gouvernement fédéral a mis en place différentes mesures favorisant la classe moyenne et qui Point de vue 3 ajouteraient 0,5 % à la croissance du PIB en 2016-17 et 1,0 % en 2017-18. Les provinces espèrent sans doute aussi une renégociation à la hausse des paiements de transferts en santé et pour les programmes sociaux.

 

L'impact de la chute du prix du pétrole sur la péréquation

Dans la fédération canadienne, le gouvernement fédéral redistribue aux provinces une partie des revenus qu’il prélève par les impôts des canadiens de toutes les provinces. Dans le cas des programmes à frais partagés (santé et programmes sociaux), le montant du transfert est établi par personne à travers tout le pays. Ainsi, tous les canadiens, peu importe où ils résident au pays, bénéficient de ces transferts. Quant à la péréquation, il s'agit d’un programme qui redistribue la richesse régionalement.

Le gouvernement fédéral redistribue, à même les impôts prélevés partout au pays, une enveloppe globale vers les provinces dont la capacité de prélever des impôts, taxes et redevances est moins élevée que la norme nationale définie au programme de péréquation. Les provinces dont la capacité fiscale est inférieure à la norme reçoivent de la péréquation tandis que celles dont elle est supérieure n’en reçoivent pas. Le montant reçu par une province est établi par personne et il varie en fonction de la capacité fiscale spécifique de chaque province par rapport à la norme nationale.

 

Soutien fédéral aux provinces et territoires

 

 

Depuis 2008, l'augmentation annuelle de l'enveloppe globale de péréquation est dorénavant plafonnée à la croissance nominale de l'économie. Dans le contexte des prévisions budgétaires de chaque province, l'augmentation de l'enveloppe est généralement estimée sans grande erreur.

Il est toutefois plus difficile d’estimer le montant de péréquation qu’une province récipiendaire recevra. Nous avons déjà mentionné que ce montant dépend de l’écart entre la capacité fiscale d’une province et la norme nationale. Sans entrer dans le détail des calculs qui établissent ces deux paramètres, mentionnons tout de même que ce sont les éléments de revenus les plus volatils qui peuvent faire varier ces montants, notamment les redevances relatives aux ressources naturelles qui sont sujettes aux plus fortes fluctuations à court terme. Soulignons aussi qu’une forte augmentation relative du chômage dans une province a un impact important sur la capacité fiscale.

Pour éviter les changements brusques, la formule comprend un mécanisme de lissage selon lequel les paiements d’une année donnée sont basés sur une moyenne de la capacité fiscale et de la norme nationale qui prévalaient deux ans (50 %), trois ans (25 %) et quatre ans (25 %) auparavant. Ainsi, un choc dont l’impact Point de vue 4 persiste ne commence à affecter les calculs qu’après deux ans et ce n’est qu’après quatre ans que l’impact du choc est pleinement reflété dans les calculs.

La chute du prix du pétrole depuis la mi-2014 commence donc à peine à influencer les calculs à compter de l’exercice budgétaire 2016-17. Ainsi, l’incidence de la forte baisse du prix du pétrole en 2015 sera plus perceptible sur les paiements de péréquation l’an prochain (2017) et ce n’est qu’en 2019 qu’elle sera pleinement reflétée.

L’impact se fait sentir de deux façons. D’abord la croissance nominale canadienne est plus faible et donc l’enveloppe de péréquation croît moins vite qu’autrement. Ensuite, la baisse des cours du brut réduit la capacité fiscale des provinces productrices et le changement de dynamisme économique relatif des régions, actuellement à la faveur du centre du pays, modifie les écarts de richesse entre les provinces.

Deux changements assez prévisibles devraient s’ensuivre éventuellement: l’Ontario, qui reçoit 2,304 milliards de dollars (166 $ per capita) au titre de la péréquation en 2016-17, devrait redevenir une province « riche », si la tendance relative se maintient. Sa part de l’enveloppe totale continuera de diminuer et elle cesserait d’en recevoir possiblement en 2019-20. Quant à Terre-Neuve-et-Labrador, qui ne reçoit plus de péréquation depuis 2008-09 alors que l’exploitation pétrolière en mer avait engendré une nouvelle prospérité, elle devrait redevenir une province récipiendaire. Même si l’Alberta est fortement affectée par la chute du prix du pétrole, sa richesse relative demeure tellement supérieure à la norme nationale qu’il n’est pas plausible que son statut de province non-récipiendaire change au cours d’un horizon prévisible. Il en va de même pour la Saskatchewan, dont la richesse relative est moins élevée que celle de l’Alberta, mais qui reste tout de même bien au-dessus de la norme nationale. Pour ce qui est de la Colombie-Britannique, sa marge supérieure à la norme nationale est moins grande mais sa tendance récente et prévue est à l’augmentation. Quant aux provinces qui demeureront récipiendaires (l’Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec, le Manitoba et bientôt Terre-Neuve-et-Labrador), elles devraient graduellement voir leur part du total augmenter à mesure que la part de l’Ontario diminuera puis disparaîtra. Au net, les provinces bénéficiaires, sauf l’Ontario, recevront vraisemblablement plus de péréquation qu’autrement.

 

Notations et taux d’endettement

Les agences de notation ont été particulièrement vigilantes au cours des derniers mois, étant préoccupées par la situation budgétaire des provinces. Pas moins de sept décotes sont survenues depuis la publication des budgets de l’an dernier. Les plus marquantes sont celles survenues en Alberta et à Terre-Neuve-et-Labrador. Dans le cas de cette dernière, les cotes de crédit émises par Dominion Bond Rating Service (DBRS), Moody’s et Standard & Poor’s (S&P) demeurent malheureusement à tendance négative. Avec 14 milliards de dollars de dette nette accumulée, l’endettement de Terre-Neuve-et-Labrador atteindra sous peu près de 50 % de son PIB, soit le double de ce qu’il était il y a à peine trois ans. Le gouvernement provincial a aussi retardé le retour à l’équilibre à l’exercice 2021-22. Et bien qu’il ait augmenté les niveaux de tous les impôts et taxes, le gouvernement terre-neuvien espère vivement une remontée du prix du pétrole pour se sortir de ce pétrin.

Le nouveau gouvernement de l’Alberta a récemment retiré la limite légiférée de 15 % de dette sur PIB pourtant mise en place à peine l’automne dernier. Bien que le taux d’endettement de la province soit encore enviable, le report du retour à l’équilibre budgétaire possiblement en 2024 (plutôt qu’en 2019 prévu précédemment) ainsi que l’important programme d’émissions à venir (50 milliards de dollars en trois ans) ont contribué à fortement détériorer ce profil. Ces prévisions s’appuient sur des anticipations du prix moyen du pétrole de 42 $ cette année, 54 $ en 2017 et 64 $ en 2018.

Le niveau critique du taux d’endettement de 40 % est en vue pour l’Ontario et le Nouveau-Brunswick. Ce sommet pourrait être atteint cette année en Ontario, une tendance qui a fort déplu à l’agence de notation S&P qui, après une mise en garde prolongée, a finalement diminué d’un cran, à A+, la cote de crédit de la dette provinciale l’été dernier. Pour la province du Nouveau-Brunswick, le ratio rejoindrait 40 % en 2018 pour ensuite diminuer selon les prévisions. Seule l’agence Moody’s attribue une cote de crédit Aa à la dette néo-brunswickoise, les autres agences l’évaluant à A+ (S&P) et A high (DBRS).

 

Portrait budgétaire

 

 

La province de Québec, a perdu son titre de province ayant le plus haut taux d’endettement aux mains de Terre-Neuve-et-Labrador. Bon an mal an, les surplus budgétaires du Québec sont appliqués à la réduction de sa dette. Les agences de notation voient aussi d’un bon oeil l’accumulation des revenus au Fonds des générations ainsi que la prudence du fonds de prévoyance.

 

La portée du prix du brut

Si le prix du pétrole se maintient près des niveaux récents (moyenne des 12 derniers mois de 44 $), il faudra prévoir un portrait plus sombre que celui dressé dans les budgets récemment publiés qui supposent un prix plus élevé à compter de 2017. Les gouvernements devront composer avec des capacités fiscales diminuées, au premier chef celles des provinces productrices de pétrole.

 

Le prix du pétrole

 

 

Même si les prévisions de prix du pétrole émises par les gouvernements de l’Alberta et de Terre-Neuve-et-Labrador s'avèrent, la route s'annonce longue et ardue avant de retrouver le chemin des budgets équilibrés. Les revenus de péréquation pourront éventuellement procurer un peu de répit à la province de Terre-Neuve-et-Labrador, mais l’Alberta ne pourra compter sur cette source de revenus. Il en sera de même pour les provinces de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique qui demeureront privées de péréquation.

 

Le budget du Québec pourrait maintenir l'équilibre, mais les hypothèses nécessaires à la prévision des revenus de péréquation sont nombreuses et leur incidence demeure pour l'instant nébuleuse. Quant à l’Ontario, dont le budget pourrait bientôt être en équilibre, elle devra composer avec l’absence possible de revenus de péréquation pour espérer le maintenir. Globalement cependant, tous les gouvernements provinciaux doivent faire face aux effets du vieillissement de la population sur leurs finances publiques (voir : Les finances publiques provinciales confrontées à une dure réalité, mai2014) et sans l’appui financier du gouvernement fédéral via des mesures exceptionnelles de soutien, ils peineront à retrouver l’équilibre budgétaire.

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