Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain :concilier croissance et redistribution

Les manifestations de populisme sont de plus en plus nombreuses depuis quelques années. Ce comportement s’est d’abord manifesté par des soulèvements populaires contre l’autorité gouvernante dans plusieurs pays à économie émergente (par exemple le Printemps arabe). Le mouvement s’est propagé aux pays à économie industrialisée où plusieurs gouvernements au pouvoir ou sortants tirent de l’arrière dans les sondages ou sont battus par des partis ou des mouvements de contestation de l’ordre établi. Le ton a été donné en 2016 commençant d’abord avec la décision surprenante de l’électorat britannique de rompre avec l’Union européenne au début de l’été suivi par l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en novembre et le rejet du projet de réforme constitutionnelle mis de l’avant par le gouvernement italien en décembre. Notons cependant que la reprise de l’élection présidentielle en Autriche en décembre a confirmé le résultat du scrutin printanier, soit l’élection du candidat pro-européen. Ce dernier évènement ne semble toutefois pas invalider la tendance favorable au populisme puisque pour l’instant, les intentions de vote aux élections prévues en 2017 (en Allemagne, en France et en Hollande) confirment la montée des partis politiques s’inscrivant dans la mouvance populiste.

Le mouvement populiste se nourrit notamment de la mondialisation et la perception de ses conséquences néfastes sur l’emploi dans les pays industrialisés. Pensons seulement à l’homme blanc en colère, le « angry white male » qu’on a utilisé pour personnifier l’électeur moyen qui aurait voté pour Donald Trump, soit le travailleur à la production dont le niveau de scolarité est peu élevé et qui est victime de la délocalisation des emplois à faibles compétences.

La clé de notre expertise : la recherche approfondie

Il semble que les bienfaits de la mondialisation sur l’accroissement du niveau de vie global depuis l’aprèsguerre (voir le graphique suivant) ne soient plus suffisants pour satisfaire les attentes des citoyens dans la conjoncture de croissance tendancielle plus lente. Le contexte est donc porteur pour les candidats aux discours populistes.

 

PIB per capita

 

 

Un bref aperçu du populisme

Le populisme ne se réclame ni de droite, de gauche ni du centre mais se définit plutôt comme « … une idéologie qui oppose un peuple vertueux et homogène à un ensemble d’élites et autres groupes d’intérêts particuliers de la société, accusés de priver (ou de tenter de priver) le peuple souverain de ses droits, de ses biens, de son identité, et de sa liberté d’expression »1. En acceptant cette définition, on comprend bien que les programmes politiques, qui tiennent la mondialisation comme responsable des malheurs des électeurs, puissent plaire à la partie de l’électorat qui estime en avoir fait les frais.

Ainsi, en réaction aux symptômes qui affligent ces électeurs lésés, les programmes politiques populistes comporteront souvent des mesures protectionnistes qui entravent non seulement la liberté de circulation des biens et services mais aussi de la population, de la main-d’oeuvre. En résumé, ces programmes mènent à une réduction de l’intégration de l’économie mondiale, bref, à un repli sur elles-mêmes des économies nationales.

 

Causes probables de la montée du populisme

Pourtant, l’augmentation du niveau de vie moyen que nous illustrons dans le premier graphique résulte des gains d’efficacité qu’ont produits notamment l’intégration de l’économie mondiale, les gains de productivité importants et la forte croissance démographique qui ont suivi la deuxième guerre mondiale. En plus d’augmenter le niveau de vie de façon générale, cette forte poussée de croissance a aussi permis de diminuer les inégalités entre les pays à économie industrialisée et les pays à économie émergente2 (graphique suivant).

 

 

PIB per capita pays industrialisés et en développement

 

Cependant, la distribution de ces gains au sein de chacun des pays s’est généralement faite de façon plus inégale, surtout au cours des 30 dernières années. À titre d’exemple, le percentile des plus hauts revenus aux États-Unis percevait, en 1980, 10 % de tous les revenus, incluant les gains en capital. En 2015, ce même percentile s’accaparait 22 % de tous les revenus générés au pays3 (voir le graphique à la page suivante). Selon une autre mesure de répartition des revenus, le coefficient de Gini4 y est passé de 37,7 en 1986 à 41,1 en 20135. Le coefficient de Gini en Chine reflète aussi une distribution moins égale des revenus puisqu’il est passé de 29,1 en 1982 à 42,1 en 20096. La distribution inégale des gains de niveau de vie a suscité la désaffection d’une partie plus importante de la population, tant dans les pays riches que dans les pays pauvres, dans le contexte de ralentissement de la croissance économique tendancielle.

 

Part du revenu total incluant le gain en capital détenu par le percentile supérieur - États-Unis

 

 

Conséquence des politiques économiques populistes

Il est difficile de nier que la distribution inégale des bénéfices de la mondialisation ait contribué à augmenter la méfiance des électeurs face à leurs dirigeants politiques. Certes, le réaménagement de l’activité économique au sein et entre les pays donne lieu à des ajustements au sein des économies nationales et son impact n’est pas ressenti uniformément. Il serait surprenant que les prescriptions usuelles des programmes populistes soient la réponse à la problématique qui se présente aujourd’hui à l’économie mondiale.

Mais d’un point de vue économique, il est plus efficace de répartir la production de biens et de services selon les avantages comparatifs dont chaque pays dispose. En effet, ce n’est pas en érigeant des barrières tarifaires et en limitant l’immigration que l’économie retrouvera le chemin de la croissance durable. En fait, après un effet initial favorable, les inefficacités que de telles politiques engendreront pourraient diminuer le niveau de vie global et creuser à nouveau l’écart de richesse séparant les pays riches et pauvres. Par leurs effets sur la taille des entreprises, qui produiront à plus petite échelle, les entraves au commerce résulteront en une augmentation des prix. Les gains d’emplois qui découleraient initialement des mesures protectionnistes pourraient bien disparaître en raison de la baisse de pouvoir d’achat liée à l’augmentation des prix.

L’arrivée d’immigrants, souvent plus jeunes, permet de soutenir le fardeau dû au vieillissement de la population lié notamment aux régimes de retraite publics et aux coûts des soins de santé. Restreindre l’arrivée de nouveaux concitoyens pourrait forcer les gouvernements à revoir l’ampleur de certains programmes sociaux.

 

La longue route des solutions

Nous en sommes rendus au stade où nous devons réfléchir à comment maintenir les acquis de la forte croissance des dernières décennies malgré la tentation de s’écarter des chemins qui nous y ont mené. La route ne sera cependant pas facile puisque les efforts requis ne livreront leurs fruits que dans plusieurs années.

Pour remédier aux problèmes de distribution des revenus et de la richesse, les politiques économiques devraient viser l’atteinte d’un juste équilibre entre la création de la richesse et sa distribution. C’est un bien grand défi. Récemment, plusieurs gouvernements ont amorcé un virage en réactivant le levier de la politique budgétaire pour soutenir la croissance. La question de sa distribution reste cependant encore sans réponse. La concurrence fiscale à l’échelle mondiale est l’obstacle le plus insoluble à une taxation qui se voudrait plus progressive et redistributive.

Un défi peut-être plus grand encore sera de préserver la liberté de commerce entre les États. Il serait en effet dommage de priver les pays à économie émergente de leurs aspirations bien légitimes à l’augmentation de leur niveau de vie en érigeant des barrières tarifaires. Par ailleurs, il faudra aussi trouver une façon de minimiser les impacts de la concurrence internationale sur les citoyens des pays industrialisés. Dans ces pays où les salaires réels et le niveau de vie sont déjà élevés, les seuls progrès durables viennent de la productivité. La solution passe nécessairement par des politiques soutenant la formation de la main-d’oeuvre pour la doter des outils nécessaires pour trouver de l’emploi dans une économie produisant de plus en plus de services et requérant davantage de connaissances techniques et technologiques.

Les défis sont de taille mais nous devons nous garder de trop modifier la recette qui a élevé le niveau de vie de tous les citoyens et qui a réduit le nombre de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté7. Il reste cependant fort à faire pour maintenir ces acquis et s’assurer de bien les répartir.

 

1Daniele Albertazzi et Duncan McDonnell, Twenty-First Century Populism, http://www.palgrave.com/resources/samplechapters/9780230013490_sample.pdf), Palgrave MacMillan, 2008, p.3 tel que consulté le 7 décembre 2106 au https://fr.wikipedia.org/wiki/Populisme_(politique).
2Mark Carney, The Spectre of Monetarism, Allocution prononcée par le gouverneur de la Banque d’Angleterre le 5 décembre 2016 à Liverpool, page 3. (http://www.bankofengland.co.uk/publications/Documents/speeches/2016/speech946.pdf) Le gouverneur Carney y mentionne que le coefficient Gini pour l’économie mondiale a diminué de 0,74 en 1975 à 0,63 en 2010 reflétant une diminution de l’écart du revenu national moyen entre les pays.
3Données tirées du World Wealth and Income Database (http://www.wid.world/).
4Le coefficient de Gini mesure la distribution du revenu au sein d’une économie donnée. Sa valeur se situe entre 0, soit une distribution parfaitement égalitaire des revenus, et 1, une distribution parfaitement inégalitaire des revenus.
5Données tirées de la base de données de la Banque mondiale au : http://data.worldbank.org/indicator/SI.POV.GINI?locations=US
6Données tirées de la base de données de la banque mondiale au :https://www.quandl.com/data/WORLDBANK/CHN_SI_POV_GINI-China-GINI-indexPoint
7Selon la Banque mondiale, le nombre de personnes vivant avec moins de $1,90 par jour est passé de 1,9 milliard à moins de 800 millions de 1981 à 2013. http://databank.worldbank.org/data/reports.aspx?source=poverty-and-equity-database

Auteur
Benoît Durocher
Vice-président directeur et stratège, Revenu fixe
La quête constante de
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