Au nom de ses clients, Addenda Capital a récemment rencontré sept sociétés pétrolières et gazières canadiennes pour discuter des principaux enjeux sociaux et environnementaux avec lesquels elles doivent composer et des pratiques de gestion mises en œuvre pour aborder ces risques. En plus de tenir ces rencontres, Addenda Capital a également passé en revue les rapports d’entreprise, la recherche spécialisée et d’autres sources de renseignements pour cerner les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dont nous tenons compte dans notre analyse de placement

Les sociétés pétrolières et gazières canadiennes cherchent à découvrir de nouveaux gisements de pétrole et de gaz naturel et à exploiter les gisements découverts pour la production. Certaines sociétés raffinent également le pétrole brut en produits comme la gazoline et le carburant aviation, tandis que d’autres produisent également des produits chimiques. Au 31 mars 2014, les sociétés pétrolières et gazières représentaient environ 17,5 % de l’indice composé S&P/TSX et les sept entreprises que nous avons rencontrées représentaient environ 9,8 % de l’indice, soit près de 14,4 % de nos portefeuilles d’actions canadiennes (comme l’illustre la figure 1 à la page suivante).

Les rencontres avec les dirigeants des entreprises de notre univers de placement font partie intégrante de notre processus d’investissement en actions canadiennes. De façon générale, notre équipe s’entretient directement avec la haute direction des entreprises qui font l’objet d’un suivi près de 400 fois par année pour discuter de stratégie, de rendement opérationnel et de santé financière.

Dans le cadre de notre approche d’investissement durable, nous tenons également des rencontres axées sur les enjeux environnementaux et sociaux. Ces discussions contribuent à améliorer nos décisions en matière de placement et à accroître notre suivi des entreprises, en plus de nous permettre de les inciter à donner suite aux préoccupations de façon à favoriser leur réussite à long terme.

Vue d’ensemble des enjeux environnementaux et sociaux avec lesquels doivent composer les sociétés pétrolières et gazières
Pour préparer les rencontres avec les entreprises, nous évaluons et analysons les renseignements divulgués de façon volontaire ou réglementaire aux investisseurs et aux autres intervenants. Nous passons également en revue les recherches et les données fournies par nos partenaires spécialisés en questions environnementales, sociales et de gouvernance. La figure 2 met en lumière les dix risques environnementaux et sociaux les plus fréquemment relevés par les 22 plus importantes sociétés gazières et pétrolières canadiennes dans leurs rapports annuels.

Cette évaluation et cette analyse nous aident à accroître notre compréhension des principaux enjeux et améliorent la qualité de nos interactions avec les équipes de direction.

Avec chacune des entreprises, nous avons discuté des processus employés pour cerner les risques environnementaux et sociaux. Nous avons ensuite traité de santé et sécurité, de relations avec les parties prenantes, de changements climatiques et de relations avec les employés. Nous avons également tenu des discussions avec ces entreprises en ce qui a trait aux risques découlant de leur exploitation en mettant principalement l’accent sur les sables bitumineux au cours de ces rencontres.

Accent sur l’extraction des sables bitumineux
Trois des entreprises rencontrées exercent leurs activités dans des installations de sables bitumineux in situ et deux d’entre elles exploitent des sites d’extraction à ciel ouvert (nous avons visité l’un d’entre eux). La figure 3 offre une vue d’ensemble des deux types de production de sables bitumineux.

Les sociétés qui effectuent l’extraction du bitume des sables bitumineux doivent composer avec différents enjeux environnementaux et sociaux dont certains sont propres à ce secteur d’activités. Les émissions de gaz à effet de serre (GES), l’utilisation de l’eau et les résidus miniers constituent les trois principaux enjeux soulevés.

Émissions de gaz à effet de serre
Les sociétés pétrolières et gazières devront composer avec des coûts d’exploitation et d’immobilisation plus élevés en ce qui a trait aux réglementations en matière GES. Elles devront également faire face à des enjeux d’exploitation relativement au changement des paramètres climatiques physiques. La demande mondiale de leurs produits pourrait notamment être affectée par les changements de réglementation et les avancées technologiques.

Changement des paramètres climatiques physiques
Les changements probables des paramètres climatiques physiques résultant de l’évolution des conditions climatiques dans la région des sables bitumineux comprennent entre autres l’augmentation de la fréquence des événements météorologiques extrêmes, l’évolution du cycle des précipitations et la fréquence accrue des vagues de chaleur estivales. Ces incidences physiques pourraient perturber la production ou forcer une entreprise à réduire sa production.

Demande mondiale en pétrole
Les perspectives à long terme de la demande en pétrole constituent un enjeu mondial avec lequel doivent composer les entreprises d’exploitation de gaz bitumineux et d’autres sociétés pétrolières et gazières canadiennes. Deux principaux enjeux peuvent compromettre ou perturber la demande en pétrole et ainsi réduire la viabilité économique de l’exploitation des gisements de sables bitumineux qui présentent des coûts de production plus élevés. Ces notions font l’objet d’un plus grand nombre de discussions entre les investisseurs qui emploient fréquemment les termes « délaissement d’actifs » ou « bulle du carbone » pour les désigner.
Le premier enjeu réside dans le fait que les gouvernements mondiaux, par l’entremise de l’accord de Copenhague, ont accepté de limiter l’augmentation de la température de la planète à moins de deux degrés Celsius. Pour atteindre cet objectif, les scientifiques ont avancé que l’économie mondiale doit réduire considérablement sa consommation de combustibles fossiles.
La réduction des coûts de la production d’énergie renouvelable résultant des avancées technologiques constitue le deuxième enjeu d’importance. Par exemple, dans certains pays, l’installation d’un système solaire photovoltaïque pour produire de l’énergie est déjà plus rentable que de l’acheter au réseau électrique local. Ces deux enjeux interdépendants pourraient contribuer à réduire considérablement la demande en pétrole, en charbon et en gaz naturel.
Coûts réglementaires en Alberta
Depuis le 1er juillet 2007, les installations de l’Alberta qui produisent plus de 100 000 tonnes de GES par année doivent réduire leur production de 12 %. La Specified Gas Emitters Regulation permet aux entreprises de remplir leurs obligations de quatre façons, soit : 1) en améliorant leurs activités; 2) en achetant des crédits compensatoires de tiers albertains; 3) en versant 15 $ par tonne supplémentaire au Climate Change and Emissions Management Fund; ou 4) en achetant des crédits de performance aux autres installations qui ont surpassé leurs exigences réglementaires. La figure 4 ci-dessous illustre la croissance rapide des émissions de GES des grandes installations de sable bitumineux en Alberta, dont le nombre est passé de 11 en 2004 à 26 à la fin de 2012.


En 2014, Alberta passe en revue la Specified Gas Emitters Regulation et les exigences en matière de réduction devraient passer de 12 % à un pourcentage compris entre 20 % et 40 %. De plus, les coûts marginaux de conformité pourraient atteindre 40 $ par tonne de GES.

Nous avons envisagé quatre scénarios probables en matière de modification de la réglementation en Alberta. Selon la perspective la plus rigoureuse, les exploitants de sables bitumineux pourraient se voir infliger une amende de conformité de moins de 1,50 $ par baril. À titre comparatif, l’un des exploitants de sables bitumineux émettant le plus important taux de GES en Alberta a rapporté des pénalités de conformité de 20 millions de dollars en 2012, soit près de 12 sous par baril de pétrole produit.

À l’avenir, nous porterons une attention particulière à ce qui suit :

  • Changements proposés à la Specified Gas Emitters Regulation de l’Alberta;
  • Recherche et analyse s’appuyant sur des modèles climatiques mondiaux pour prédire l’évolution des paramètres climatiques physiques dans la région des sables bitumineux; et
  • Progrès réalisés à l’égard d’un accord international de réduction des émissions de GES.

Utilisation de l’eau
L’exploitation des sables bitumineux requiert une importante quantité d’eau – par exemple, en 2012 une société pouvait utiliser à elle seule plus de 23 millions de cubes métriques d’eau potable (assez pour remplir 15 fois le Skydome) pour exploiter un gisement de sables bitumineux. Lors de l’extraction, l’eau est employée pour séparer le bitume du sable. La production in situ requiert généralement l’injection à haute pression de vapeur dans le sable. L’eau qui jaillit à la surface avec le bitume peut alors être réutilisée. La figure 5 ci-dessous illustre la consommation d’eau relative des deux types de production de sables bitumineux.

L’évaluation de la quantité et de la qualité d’eau requise pour leurs activités engendrera des frais supplémentaires pour les entreprises à plus long terme.

Parmi les enjeux liés à l’eau, mentionnons ce qui suit :

  • Perturbations des activités en raison d’un accès restreint à une eau de qualité en quantité suffisante;
  • L’octroi de permis et la mise en œuvre de projets pourraient être retardés si l’approvisionnement en eau n’est pas assuré;
  • Les réglementations pourraient entraîner une augmentation des coûts d’investissement en prévision de la réduction éventuelle des ressources en eau. Par exemple, l’une des plus récentes mines de sables bitumineux a dû construire un bassin de stockage d’eau pour maintenir sa production lorsqu’elle n’est pas en mesure de prélever de l’eau directement de la rivière Athabasca;
  • Les permis de prélèvement d’eau pourraient devenir plus dispendieux.

À l’avenir, nous porterons une attention particulière à ce qui suit :

  • Modifications apportées au Water Act ou l’Environmental Protection and Enhancement Act de l’Alberta, plus particulièrement les changements ayant une incidence sur les répercussions cumulatives;
  • Résultats de l’Alberta Environmental Monitoring, Evaluation and Reporting Agency; et
  • Prix des permis de prélèvement de l’eau.

Résidus miniers

Lorsque le bitume est extrait des sables bitumineux dans des mines à ciel ouvert, d’importantes quantités de résidus sont produites. Les résidus générés par l’extraction des sables bitumineux sont composés d’eau, de sable, de glaise, de contaminants et d’infimes quantités de bitume résiduel. Bien que la plupart des substances se détachent de l’eau rapidement, les plus petites particules de vase et de glaise demeurent en suspension dans l’eau et peuvent prendre des décennies à se déposer, pour donner une matière de la consistance de la boue meuble ou du yogourt.

En 2009, l’Energy Resources Conservation Board de l’Alberta a adopté la Directive 074 : critères et exigences de rendement des résidus dans le cadre des plans d’exploitation minière des sables bitumineux. Son objectif consiste à réduire la quantité de résidus liquides en plus d’accélérer la remise en état des sites miniers. La directive établit les critères de rendement en matière de gestion des résidus et requiert des approbations et des suivis constants.

Figure 6
Les bassins de résidus doivent être remis en état de façon progressive
Bassin de résidus en cours d’utilisation

Bassin de résidus suffisamment solidifié pour être remis en état

Source : Visite d’un site d’extraction de sables bitumineux d’Addenda Capital

L’Alberta Energy Regulator (AER) évalue le rendement en matière de gestion des résidus de chaque mine de sables bitumineux tous les trois ans. Dans son dernier rapport publié en juin 2013, l’organisation souligne que l’industrie n’a pas répondu aux attentes de la Directive 074 (comme le démontre la figure 7 à la page suivante) ni aux exigences provisoires moins rigoureuses établies par les exploitants miniers. Un seul exploitant, Syncrude, a réussi à respecter son seuil de résidus établi au cours de la période de conformité. L’AER n’a pas encore pris de mesures pour accroître le niveau de conformité à ce jour.

On estime que les cinq sociétés minières réunies ont déjà consacré plus de 4 milliards de dollars en installations et infrastructures pour répondre aux exigences en matière de gestion de leurs résidus. Les entreprises ont également investi des sommes considérables dans la recherche et le développement pour mettre au point des technologies de traitement des résidus commerciaux et collaborent de plus en plus avec des groupes comme la Canada’s Oil Sands Innovation Alliance (COSIA).

Les progrès réalisés à ce jour et nos rencontres avec deux des sociétés démontrent que leurs dépenses en immobilisation ne sont pas encore complètes et qu’elles devront continuer d’investir jusqu’à ce qu’elles soient en mesure de répondre aux exigences réglementaires de façon fiable et régulière. La gestion des résidus a également contribué à accroître les coûts d’exploitation tout en réduisant la marge de manœuvre opérationnelle dans une certaine mesure.

À l’avenir, nous porterons une attention particulière à ce qui suit :

  • Dépenses en immobilisations relatives à l’application de la Directive 074;
  • Évolution importante des obligations et des coûts liés au démantèlement et à l’assainissement; et
  • Prochain rapport d’assainissement de l’Alberta Energy Regulator (prévu pour 2015), particulièrement en ce qui a trait au renforcement des mesures de conformité.

Conclusion

Les enjeux environnementaux et sociaux peuvent s’avérer très coûteux pour les sociétés pétrolières et gazières. Le fait de rencontrer les entreprises nous permet de recueillir des renseignements nous aidant à renforcer nos analyses et à accroître notre compréhension de ces enjeux. Principalement axées sur les enjeux environnementaux et sociaux, nos rencontres nous aident également à entretenir de meilleures relations avec les équipes de direction en plus de nous permettre d’obtenir une perspective supplémentaire en discutant avec des membres de la direction que nous n’avons pas l’occasion de rencontrer de façon régulière. Au moyen du vote par procuration et de rencontres avec la direction, nous poursuivrons le dialogue avec les entreprises pour les inciter à aborder ces enjeux de manière à optimiser leur valeur à long terme.

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Auteur
Barbara Betanski
Gestionnaire de portefeuille principale, Actions canadiennes
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