Monika Freyman, vice-présidente, Investissement durable


Carl Pelland, vice-président, Revenu fixe et chef, Obligations de société

Sans eau, il n’y a pas de vie. Une quantité limitée d’eau douce est disponible pour la consommation humaine et l’alimentation de l’écosystème – seulement 2,5% de l’eau sur Terre -, mais nous agissons parfois comme si nous disposions d’un approvisionnement infini (1). La proportion non consommable de cette ressource naturelle réside dans les océans, les calottes glaciaires et les aquifères profonds.


Figure 1 : Représentation de l’eau douce disponible. Une proportion de seulement 2,5 % des ressources hydriques peut être consommée. La proportion non consommable est contenue dans les océans, les calottes glaciaires, les glaciers ou les aquifères très profonds. La sphère de plus grande taille représente la proportion disponible à la surface de la Terre et dans les nappes souterraines, tandis que la plus petite sphère représente la proportion accessible en surface seulement, soit dans les cours d’eau. Source (en anglais seulement) : How Much Water is There on Earth? | U.S. Geological Survey (usgs.gov)


Alors que les collectivités et les économies dépendent d’un accès aux systèmes d’eau douce pour prospérer, on estime que près du quart de la population mondiale subit un important stress hydrique (2). De l’Alberta à l’Australie, en passant par l’Afrique du Sud et le Sud-Ouest américain, plusieurs régions du globe ont atteint le point de non-retour quant à la quantité d’eau douce disponible pour cultiver la terre et pour soutenir les économies locales et les collectivités (3). Ce problème est exacerbé par une concurrence grandissante pour l’accès aux réserves limitées d’eau douce, alors que la croissance de la population s’accélère et que les changements climatiques plombent le renouvellement de cette précieuse ressource. Les sécheresses se prolongent et lorsqu’il pleut enfin, les orages causent d’importantes inondations (4).

L’accès à l’eau et aux installations sanitaires constitue un droit humain fondamental (5). Malgré les progrès accomplis, plus de deux milliards de personnes n’ont pas accès à de l’eau salubre et à des installations sanitaires de base (6). Cette situation touche les collectivités les plus vulnérables de façon disproportionnée. Dans les pays en voie de développement, les femmes et les enfants sont plus souvent responsables de l’approvisionnement en eau pour les ménages. Ils y consacrent parfois plusieurs heures par jour, ce qui contribue à creuser l’écart en matière d’accès à l’éducation et à de meilleures conditions de vie (7). Les enjeux liés à l’eau potable touchent également les pays développés. La ville de Flint au Michigan constitue un cas flagrant de mauvaise surveillance des réseaux d’aqueducs et d’investissement insuffisant dans les infrastructures. Ces lacunes ont mené à l’abrasion des tuyaux de plomb de la ville, qui ont contaminé l’eau potable d’une communauté minoritaire déjà confrontée à la pauvreté (8). Au Canada seulement, on dénombre encore 28 avis permanents concernant la qualité de l’eau potable dans les collectivités autochtones, lesquelles entretiennent souvent des liens culturels étroits avec cette ressource naturelle (9).

Dans plusieurs régions, l’urbanisation, la canalisation, l’extraction excessive et la pollution causée par les produits chimiques, les fertilisants et les particules microplastiques ont entraîné une dégradation de la qualité de l’eau. À l’échelle mondiale, on estime que la moitié des eaux usées sont rejetées dans des environnements non traités (10). Les substances qui contaminent les plans d’eau comprennent des produits chimiques qui ont une incidence à long terme sur l’environnement et la santé des collectivités. N’exposant qu’une fraction de l’envergure du problème, une récente étude californienne a rapporté que sur 172 catégories de produits de consommation, 105 contenaient des substances cancérigènes ou des toxines qui ont des répercussions sur la reproduction et le développement (11).

La protection et la préservation de la qualité de l’eau à l’échelle mondiale deviennent des enjeux de plus en plus cruciaux, alors que nous atteignons un point de non-retour planétaire (12).  La molécule d’eau est caractérisée par ses propriétés adhésives qui emprisonnent les polluants. Par conséquent, l’extraction des contaminants liés aux molécules d’eau requiert énormément d’énergie et de connaissances techniques. En d’autres termes, la vitesse à laquelle nous polluons les ressources mondiales d’eau douce réduit considérablement les possibilités de décontamination. Bien qu’il convienne dans certaines régions, le dessalement n’est pas viable à l’échelle mondiale en raison de son importante empreinte énergétique et carbonique ainsi que des flux de déchets qui en résultent. 

Dans les écosystèmes d’eau douce, la biodiversité se dégrade à un rythme deux fois plus important que sur la terre et dans les océans (13). Plusieurs espèces d’insectes, de reptiles, d’oiseaux et de poissons dépendent des rivières, des lacs et des marais pour se reproduire et se développer. Certaines d’entre elles ont même évolué pour vivre dans un type d’eau particulier et à des températures constantes, ce qui les rend plus vulnérables aux changements qui surviennent dans ces systèmes. 

Les politiciens ont tendance à ignorer les réseaux et les infrastructures d’approvisionnement en eau, préférant investir dans de nouvelles structures terrestres attrayantes plutôt que dans les systèmes souterrains existants. À l’échelle de l’Amérique du Nord, on estime que près de 40 % de l’eau traitée fuit par les conduites d’approvisionnement désuètes. La ville de Toronto gaspille à elle seule 103 millions de litres d’eau par jour, ce qui équivaut au contenu de 40 piscines olympiques (14). Dans sa plus récente fiche d’évaluation, l’American Society of Civil Engineers (ASCE) a attribué une note de C- aux infrastructures d’eau potable. On estime d’ailleurs que le déficit d’investissement des États-Unis dans les infrastructures hydriques atteindra 400 milliards de dollars américains au cours des cinq prochaines années (15).

Bien que les obstacles puissent sembler insurmontables, plusieurs options s’offrent aux investisseurs qui souhaitent réduire l’incidence de leurs investissements sur les ressources hydriques ou investir dans des solutions à cet égard (16). Les principes de valorisation de l’eau fournissent des orientations de haut niveau en matière de valorisation de l’eau, aussi bien au quotidien que dans un cadre d’investissement. Ces principes mettent notamment l’accent sur la protection des sources d’eau potable, en plus de tenir compte des nombreuses valeurs associées à l’eau (17). L’initiative Valuing Water Finance, qui vise à promouvoir les principes décrits précédemment, propose un réseau et une plateforme comparative aux entreprises qui ont une forte empreinte hydrique. Le projet vise également à réunir les actionnaires pour favoriser leur engagement auprès de la direction des entreprises afin de préconiser l’amélioration des pratiques et la protection des écosystèmes d’eau douce (18). Addenda soutient cette initiative dans le cadre de ses activités d’intendance.

Addenda est ravie d’ajouter l’eau comme thème de son Fonds revenu fixe d’impact, en mettant l’accent sur l’eau douce (des critères océaniques et marins étant prévus pour l’avenir). Cet ajout à nos thèmes existants, soit les changements climatiques, la santé et le bien-être, l’éducation et le développement communautaire, contribuera à renforcer la portée et l’impact de nos activités à cet égard.

 

Occasions d’investissement

En fonction de ce nouveau secteur d’intérêt, nos investissements cibleront davantage les projets visant à améliorer l’accès à l’eau potable et aux installations sanitaires ainsi que le développement de technologies d’amélioration de l’efficacité hydrique, comme la prévention des fuites, l’irrigation goutte à goutte et les compteurs d’eau intelligents. Nous nous intéresserons également aux solutions naturelles, comme la restauration des terres humides et des bassins hydrographiques, en plus de soutenir l’amélioration de la distribution et du traitement de l’eau ainsi que l’élimination des eaux pluviales et usées dans les collectivités.

Nous appuyons notre approche sur les Valuing Water Principles, qui reconnaissent les multiples valeurs associées à cette ressource, y compris son importance culturelle et son influence dans l’héritage autochtone, de même que son rôle dans l’équilibre naturel. Nous préconiserons également l’absence de préjudice important (« Do No Harm Principles ») dans notre approche (19).

Bien que le marché des obligations bleues ou axées sur l’eau et la gestion des déchets soit moins important que celui des obligations vertes et axées sur le climat, nous anticipons une hausse soutenue des besoins en investissement dans ces domaines (20). Nous estimons aussi que la composante de gestion hydrique devrait gagner en importance au sein des obligations axées sur le climat, étant donné le lien étroit qui unit ces deux enjeux (21). À titre d’exemple, la ville de Vancouver consacre une importante part du rendement de ses obligations vertes à l’exploitation durable des ressources en eau et à la gestion des eaux usées. Celles-ci ont notamment permis de financer la séparation urgente des canalisations d’eaux pluviales et d’eaux usées afin de réduire les risques d’inondation et de protéger les cours d’eau locaux en cas de débordements (22). Par ailleurs, les obligations vertes du Gouvernement du Canada ont permis de financer l’amélioration des systèmes de gestion des eaux usées et d’adduction des collectivités autochtones ainsi que des programmes de réduction des déchets plastiques, des programmes de préservation de la biodiversité et plusieurs autres projets énergétiques et climatiques (23).   

Nous reconnaissons que le financement consacré aux ressources et aux infrastructures hydriques accuse un retard important. Pour assurer la prospérité des marchés, nous encourageons le financement de projets hydriques au moyen d’obligations axées sur le climat. Nous préconisons également la distinction des obligations bleues axées sur l’eau, à condition que la taille et la portée des émissions répondent aux besoins des investisseurs en matière de liquidité.

Pour le moment, les occasions d’investissement dans le marché canadien sont peu nombreuses. Par exemple, nous n’avons pas encore vu d’obligations pouvant être classées strictement dans le thème de l’eau, comme les obligations bleues. Même à l’échelle internationale, le marché des obligations bleues demeure restreint, si bien qu’il atteindrait environ seulement 13 milliards $US en émissions (selon nos calculs).

Cependant, il existe au Canada des obligations durables ayant alloué une partie de leur produit à des investissements dans le domaine de l’eau. Celles-ci ont été émises par des entités gouvernementales. Nous sommes d’avis qu’à l’intérieur du nouveau thème, les occasions continueront de se présenter dans le cadre d’obligations durables plutôt que d’obligations bleues. Car il existe d’autres entités gouvernementales et des sociétés dont le cadre de référence d’obligations vertes ou durables prévoit déjà l’admissibilité de projets hydriques. Selon nos critères, il y aurait dans le marché canadien près de 10 milliards $ d’obligations en circulation, émises par quatre émetteurs, dont une partie des fonds participe à des investissements liés à l’eau. Les occasions de financement liées à des projets hydriques en sont toujours au stade embryonnaire au Canada, selon nous. Addenda Capital, avec son équipe d’investissement durable et son équipe d’investissement en revenu fixe, voit d’un œil favorable le développement de ce nouveau thème au Canada, souhaite prendre part à sa croissance, et se réjouirait de l’arrivée éventuelle d’obligations bleues qui répondraient à nos critères.

Nous sommes ravis de prendre ces mesures afin de favoriser l’investissement dans les ressources et les infrastructures hydriques.

Contenus connexes

Revenu fixe d'impact
Solutions durables et d'impact


Pour approfondir vos connaissances

1.  How Much Water is There on Earth? | U.S. Geological Survey (usgs.gov)
2. World Resources Institute (WRI): 25 Countries, Housing One-quarter of the Population, Face Extremely High Water Stress
3. CBC; The Economist; NPR
4. How Climate Change Impacts Water Access (National Geographic)
5. United Nations: The Human Right to Water and Sanitation
6. United Nations Sustainable Development
7. WHO: Women and girls bear brunt of water and sanitation crisis
8. CDC: Flint Water Crisis
9. Government of Canada: Ending long-term drinking water advisories
10. United Nations University: Half of global wastewater treated
11. Know, Kristin et al, Identifying Toxic Consumer Products: A Novel Data Set Reveals Air Emissions of Potent Carcinogens, Reproductive Toxicants, and Developmental Toxicants, Environmental Science and Technology 2023, 57, 7454-7465
12. See biochemical flows (Phosphorus and Nitrogen) and freshwater changes in 2023
13. Bending the Curve of Global Freshwater Biodiversity Loss: An Emergency Recovery Plan
14. Water Canada: Significant amount of drinking water being wasted due to leaky pipes: Report
15. 2021 Report Card for America’s Infrastructure
16. CDP Water, Ceres, WRI, Recommended Best Practices in Disclosure for Water and Sewer Bonds
17. Valuing Water Initiative
18. Ceres: Valuing Water Finance Initiative
19. Voir le tableau 4 des Critères d’évaluation de l’existence d’un préjudice important
20. Voir la section Use of proceeds graph and dataset du tableau de bordMarket Data | Climate Bonds Initiative
21. Climate Bonds Initiative: Use of Proceeds Charts
22. City of Vancouver Annual Green Bond Information Update 2021
23. Gouvernement du Canada - Cadre des obligations vertes - Canada.ca

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