Mark Kaminski, CFA, Gestionnaire de portefeuille, Revenu fixe de base et actions privilégiées
En collaboration avec François Desjardins, Rédacteur

 

Pendant des mois, la rumeur voulait qu’une banque canadienne émettrait un jour des actions privilégiées institutionnelles (de gré à gré ou, en anglais, over the counter). C’est chose faite : la Banque Royale du Canada a déposé, le 21 octobre dernier, un prospectus qui marque un virage dans le marché. Ce nouveau chapitre pourrait intéresser les investisseurs qui se tournent vers des actifs de type revenu fixe à la recherche de rendements plus élevés.

 

En amont de l’événement

Pour comprendre la raison d’être des actions privilégiées de gré à gré, nous devons d’abord nous pencher sur un instrument qui a fait son apparition dans le marché financier l’année dernière seulement : le billet avec remboursement de capital à recours limité (en anglais, limited recourse capital note, ou LRCN).

La Banque Royale du Canada a été la première institution, au milieu de 2020, à émettre des billets avec remboursement de capital à recours limité après que ceux-ci eurent reçu l’approbation du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF). Le BSFI les nomme « billets ARL ». L’organisme fédéral indépendant a déterminé que les billets ARL pouvaient, pour les banques cherchant à satisfaire aux exigences, être considérés comme des fonds propres réglementaires. Plus précisément, le BSIF a permis que les billets soient considérés comme «autres éléments de fonds propres de catégorie 1 (AT1) ». Ils ne peuvent être émis qu’à des investisseurs institutionnels.

Jusqu’à présent, les banques canadiennes ont fait face à une forte demande et émis 11,2 milliards de dollars en billets ARL, qui sont déductibles d’impôt pour les émetteurs. Quant à l’instrument lui-même, il s’agit d’un titre de créance à 60 ans (remboursable par anticipation tous les 5 ans), qui a recours à une fiducie détenant des actions privilégiées. Ces actions, qui agissent comme garantie, ne sont livrées qu’en cas de non-paiement ou de défaillance.

Il y a toutefois un plafond, comme l’a souligné le BSIF dans sa décision de juillet 2020 : les billets ARL émis par une banque sous réglementation fédérale ne peuvent constituer que 50 % de ses fonds propres AT1. En émettant des actions privilégiées de gré à gré, les banques gagnent la possibilité d’émettre davantage de billets ARL. À notre compréhension, le marché présume qu’une fois que le BSIF sera convaincu qu’il existe un marché d’actions privilégiées de gré à gré établi, il augmentera les limites autour des billets ARL.

En gros, les banques transfèrent des fonds propres réglementaires des investisseurs de détail (c’est-à-dire des actions privilégiées négociées en Bourse) aux investisseurs institutionnels. À notre avis, le BSIF souhaite voir un marché d’actions privilégiées de gré à gré établi au cas où ces billets ARL seraient convertis en actions privilégiées.

 

Les détails

Le prospectus publié par RBC porte sur des actions privilégiées à dividende non cumulatif et à taux fixe rajusté tous les 5 ans (fonds propres d’urgence en cas de non-viabilité, ou FPUNV). Le taux de dividende initial a été fixé à 4,20 %. Voici quelques caractéristiques qui distinguent les actions de gré à gré des actions négociées en Bourse :

  • La valeur nominale est de 1000 $ par action, ce qui signifie que l’action s’adresse aux investisseurs institutionnels, comparativement aux actions cotées en Bourse dont la valeur nominale est de 25 $ ;
  • Le dividende est non cumulatif et versé semestriellement, alors que pour une action cotée en bourse, il est versé trimestriellement ;
  • Le dividende est déductible d’impôt pour les détenteurs ;
  • Les actions sont pari passu avec des billets ARL ;
  • Les rajustements actuels des actions cotées en Bourse donnent au détenteur la possibilité de convertir en une action privilégiée à taux variable, contrairement à ce nouveau titre ;
  • Les nouvelles actions privilégiées de gré à gré seront rajustées tous les 5 ans (le taux sera le taux des obligations du gouvernement du Canada à 5 ans plus l’écart) ou peuvent être rappelées par l’émetteur.

 

Qu’est-ce que cela signifie pour le marché actuel des actions privilégiées négociées en bourse?

Les investisseurs institutionnels établiront-ils un marché d’actions privilégiées de gré à gré? C’est notre avis. Mais un certain nombre de questions demeurent. Quelle est la profondeur du marché des billets ARL? À l’heure actuelle, les actions privilégiées en Bourse qui sont en circulation atteignent 16 milliards de dollars. Les acheteurs de billets ARL sont-ils prêts à en digérer une plus grande partie aux niveaux d’écart actuels?

Le marché évalue-t-il correctement la caractéristique de rajustement des billets ARL? Chaque banque gère ses fonds propres réglementaires différemment et nous ne nous attendons pas à une vague immédiate de nouvelles actions privilégiées de gré à gré. Nous prévoyons toutefois qu’il pourrait y en avoir davantage au cours des prochains trimestres et années à venir.

 

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