En octobre 2024, le milieu de l’investissement responsable s’est rendu à Toronto pour la conférence PRI in Person, où le réseau des Principes pour l’investissement responsable (PRI), développé par les Nations unies, se réunissait afin d’échanger et promouvoir des pratiques exemplaires. Addenda Capital, la Coalition des grands projets des Premières Nations (FNMPC) et le Conseil de gestion financière des Premières Nations (CGF) ont profité de l’occasion pour réunir des dirigeants autochtones, des émetteurs de titres de créance, des propriétaires d’actifs et des chefs de file de la finance durable dans le cadre d’une table ronde ciblée.

Selon les règles de Chatham House, les participants ont eu l’occasion d’apprendre, d’interagir et de partager des idées sur la façon de tirer parti du succès du marché des obligations durables afin de répondre aux besoins de financement des peuples autochtones. Ils ont examiné la possibilité de développer un cadre de référence pour les obligations durables autochtones afin de susciter l’intérêt des investisseurs et de mobiliser des capitaux, tout en veillant à ce que les fonds soient consacrés au financement de projets présentant des avantages démontrés pour les communautés autochtones.

Cette discussion sans précédent a conduit à l’élaboration d’un document de travail complet et de trois articles portant sur les aspects clés de cette initiative. Les deux prochains articles mettront en lumière les leçons à tirer de l’émergence des obligations vertes ainsi que les mesures à prendre pour aller de l’avant.

Ampleur du défi

Les populations autochtones du Canada (Inuits, Métis et Premières nations) et du monde entier doivent souvent composer avec des écarts socio-économiques considérables et de longue date par rapport aux populations non autochtones. Ces écarts résultent de longues années de colonialisme, de discrimination économique structurelle et de marginalisation, qui ont profondément marqué les populations autochtones, leurs communautés et leurs nations, et continuent de les affecter au quotidien.

Le déficit de financement en matière de logement, d’infrastructures publiques et de développement économique pour les peuples autochtones au Canada se situe entre 350 et 500 milliards de dollars[1]. Plusieurs communautés autochtones manquent de financement pour répondre à leurs besoins fondamentaux, notamment en matière de logement, de soins de santé, d’installations communautaires et d’infrastructure hydraulique. En outre, plusieurs communautés dépendent de sources d’énergie à forte émission de carbone, comme les générateurs diesel, pour la production d’électricité, ou disposent d’un accès restreint aux services de télécommunication[2]. Les écarts s’expliquent souvent par les difficultés d’accès au financement auxquelles se heurtent les entreprises autochtones qui tentent de répondre à ces besoins. Bien que les peuples autochtones forment environ 5 % de la population canadienne, les entreprises autochtones détiennent moins de 0,2 % des crédits disponibles. L’accès des entreprises autochtones aux capitaux du marché est 11 fois inférieur à celui de leurs homologues non autochtones[3].

Obstacles structurels à l’accès au financement

L’écart de financement auquel sont confrontées les entreprises et les entrepreneurs autochtones résulte de la destruction systématique des systèmes culturels, économiques et commerciaux. À titre d’exemple, la Loi sur les Indiens a conduit à l’exclusion systémique des peuples autochtones de l’économie et des systèmes commerciaux traditionnels, ce qui a porté atteinte au mode de vie autochtone. Jusqu’en 1940, le gouvernement canadien a appliqué une politique exigeant que tous les membres des Premières Nations vivant dans une réserve obtiennent une autorisation écrite d’un agent indien pour quitter leur communauté ou vendre des marchandises en dehors de la réserve. Ceux qui se faisaient prendre sans autorisation étaient soit incarcérés, soit renvoyés dans la réserve. La vente de produits agricoles exigeait aussi l’obtention d’un permis.

D’importantes barrières commerciales ont résulté de ces restrictions. Les pensionnats visaient à former des travailleurs plutôt que des gens d’affaires. Poursuivre des études universitaires ou exercer une profession libérale entraînait la perte du statut d’Indien, des droits et des liens avec la réserve et la Première Nation, ce qui dissuadait les membres des communautés autochtones de poursuivre des études supérieures. Malheureusement, les membres et les communautés des Premières Nations n’étaient pas en mesure de contester ces restrictions parce qu’il leur était interdit de faire appel aux services d’un avocat jusqu’en 1951[4].

Des enjeux persistent à ce jour.  Par exemple, des droits fonciers clairs sont nécessaires pour accéder au financement. Les ménages, les entreprises, les communautés et les nations autochtones se heurtent toutefois à des obstacles juridiques et réglementaires, comme l’article 89 de la loi sur les Indiens, qui interdit l’utilisation de biens autochtones dans les réserves comme garantie.

Pour ce qui est du financement de projets, les gouvernements et les entités autochtones se heurtent souvent à des taux d’emprunt plus élevés qui dépassent le rendement anticipé des projets en raison de la perception erronée d’un risque plus élevé. Les Nations autochtones n’ont souvent pas non plus la possibilité d’utiliser leurs actifs ou leurs revenus pour emprunter en raison d’un « bilan » très faible par rapport à d’autres paliers de gouvernement, ou encore d’un revenu fiscal ou commercial minime ou inexistant.

Par le passé, le coût élevé des activités dans les réserves a ainsi donné lieu à des « économies d’aubaine », où les gains économiques réalisés par les communautés profitent aux communautés non autochtones, lorsque les biens ou les services sont achetés à l’extérieur des réserves.

Signes de progrès et succès à célébrer

Malgré ces enjeux, un grand nombre de nouveaux développements passionnants et d’occasions croissantes se présentent. Les communautés autochtones ont repris aux gouvernements le contrôle partiel de leurs ressources. Les gouvernements provinciaux et fédéraux ont établi, ou sont en voie d’établir, des cadres de référence en matière de partage des revenus et des redevances pour les projets réalisés sur les territoires traditionnels des Nations.

Par exemple, la Loi sur la gestion financière des Premières Nations (LGFPN, adoptée en 2005) permet aux communautés des Premières Nations admissibles d’emprunter conjointement sur les marchés financiers pour investir dans les infrastructures et le développement communautaire. En vertu de la LGFPN, quatre institutions complémentaires travaillent conjointement pour améliorer l’accès à des capitaux à faible coût :

  • La Commission fiscale des Premières Nations (CFPN) aide les communautés autochtones à augmenter le flux de leurs propres revenus au moyen de l’impôt foncier;
  • Le Conseil de gestion financière des Premières Nations (CGF) aide les communautés à mettre en œuvre une gestion financière et une gouvernance saines afin de développer leur propre capacité à emprunter et à assurer le service de la dette (la certification du CGF est une condition pour l’emprunt de l’AFPN);
  • L’Institut des infrastructures des Premières Nations (IIPN) offre une expertise pour améliorer les investissements et les projets liés aux infrastructures; et
  • L’Autorité financière des Premières Nations (AFPN) facilite l’obtention de financement à faible coût en monétisant les sources de revenus des communautés au moyen de rehaussements de crédit et d’émission de titres de créance bien notés sur marchés obligataires publics. Le programme a émis des obligations totalisant 2 milliards de dollars, moyennant des taux comparables ou inférieurs à ceux des obligations municipales canadiennes[5].

Bien que des défis et des obstacles importants subsistent, plusieurs possibilités et occasions se présentent pour répondre aux besoins de financement des peuples autochtones. Pour une analyse complète des défis et des possibilités en matière de financement autochtone, veuillez consulter notre document de réflexion complet.  Pour une description des leçons à tirer afin de stimuler davantage le financement et la création d’un cadre d’obligations durables autochtones, consultez les deux prochains articles de cette série.

 


[1] Schembri, Lawrence, The Next Generation: Innovating to Improve Indigenous Access to Finance in Canada, Fraser Institute, 2023 and Assembly of First Nations https://afn.ca/all-news/press-releases/assembly-of-first-nations-afn-calls-for-urgent-action-to-close-the-infrastructure-gap-by-2030-in-landmark- report/

[5] Schembri, Lawrence, The Next Generation: Innovating to Improve Indigenous Access to Finance in Canada, Fraser Institute, 2023 and Assembly of First Nations https://afn.ca/all-news/press-releases/assembly-of-first-nations-afn-calls-for-urgent-action-to-close-the-infrastructure-gap-by-2030-in-landmark- report/

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