Réjean Nguyen, Directeur, Investissement d’impact et Pratique d’affaires ESG

La biodiversité figure maintenant parmi les trois principaux domaines d’intérêt des investisseurs institutionnels canadiens, aux côtés des enjeux climatiques et les questions d’équité, de diversité et d’inclusion. Selon un sondage (1) mené auprès de 27 détenteurs et gestionnaires d’actifs en décembre 2022, 48 % considèrent qu’il s’agit  d’une priorité, comparativement à 18 % deux ans auparavant.

Si cette récente augmentation de l’intérêt des investisseurs pour la biodiversité peut en surprendre certains, d’autres y voient une suite logique des choses, étant donné que les économies et entreprises dépendent si  fortement du capital naturel. Les impacts sans précédent sur les systèmes naturels et la perte de biodiversité — par exemple, les populations mondiales d’espèces ont chuté de 69 % entre 1970 et 2018 (2) — font en sorte  qu’il est plus urgent que jamais pour les investisseurs de comprendre ces enjeux.

Une entente mondiale qui donne le ton

Il ne fait aucun doute que le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal, adopté par 195 États  lors de la 15e Conférence des Parties des Nations Unies, est l’un des faits marquants des dernières années.  La responsable de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique, Elizabeth Mrema, et le ministre canadien de l’Environnement, Steven Guilbeault, ont chacun affirmé que la conférence était un « moment  de Paris pour la biodiversité », en référence à l’accord historique de 2015 sur l’action climatique.

La conclusion de l’entente est certainement un pas dans la bonne direction pour la sauvegarde de la nature, comme nous l’avons mentionné en décembre. Cependant, le travail ne fait que commencer. En guise de rappel, voici ce que le Cadre prévoit :

  • la protection de 30 % des terres, des eaux et des zones marines de la planète d’ici 2030 (à l’heure actuelle, seulement 17% des zones terrestres et 10% des zones marines sont protégées);
  •  des engagements de financement de 200 milliards US pour atteindre ces objectifs;
  • des versements annuels aux pays pauvres qui atteindront 20 milliards US d’ici 2025, et 30 milliards US d’ici 2030;
  • l’élimination progressive ou la réforme de subventions, ce qui pourrait représenter 500 milliards US supplémentaires dédiés à la nature; et
  • des stratégies visant à réduire l’impact des produits chimiques polluants et des espèces envahissantes.

La plupart des observateurs conviennent qu’en pratique, toutes les parties prenantes, les gouvernements,  les investisseurs, les entreprises et la société civile devront fournir beaucoup plus d’efforts pour préserver les écosystèmes essentiels et protéger les espèces encore abondantes. Cela dit, non seulement l’entente  fournit-elle l’objectif à atteindre, mais sa conclusion est d’autant plus porteuse qu’elle est survenue lors  d’un sommet international démontrant un large consensus.

La prochaine Conférence de l’ONU sur la biodiversité aura lieu en 2024 en Turquie.

Nouveaux cadres d’analyse et d’évaluation

Environ la moitié du produit intérieur brut mondial dépend (3) modérément ou fortement de la nature et de  ses ressources. Cependant, pour que les investisseurs puissent prendre des décisions éclairées, il leur faudra des renseignements pertinents sur la façon dont les sociétés gèrent leurs activités et sur leur impact.

Pour répondre à ce besoin, le Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives à la nature (Taskforce on Nature-related Financial Disclosures, ou TNFD) développe actuellement un cadre de divulgation permettant aux organisations de « déclarer les opportunités et risques liés à la nature et d’agir en fonction  de leur évolution ». Issu du secteur privé, le TNFD a été créé en 2021 avec l’appui des Nations Unies, du World Wildlife Fund et de Global Canopy.

La version actuelle du cadre du TNFD propose que les sociétés décrivent les risques et occasions liés à la nature selon quatre volets:

  • Gouvernance
  • Stratégie
  • Gestion des risques et des impacts
  • Outils de mesure et objectifs

Par exemple, une des recommandations du volet « gouvernance » consisterait à décrire la surveillance par le conseil « des relations de dépendance, impacts, risques et opportunités liés à la nature ». Cette approche rappelle fortement les recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux  changements climatiques (Task Force on Climate-Related Financial Disclosures, ou TCFD), que de plus en plus de sociétés utilisent pour produire un rapport annuel sur leur gestion des risques et occasions à cet égard.

Si tout se déroule comme prévu, le TNFD publiera ses recommandations complètes en septembre 2023. Le Groupe souhaite que ses travaux contribuent à ceux du Conseil des normes internationales d’information  sur la durabilité (ISSB), qui développe de son côté une base de référence mondiale en matière de déclarations.

De leur côté, l’UNEP et S&P Global ont récemment dévoilé le « Profil de risque naturel », une méthodologie visant à mesurer l’exposition des sociétés aux enjeux naturels. Celle-ci couvre entre autres les risques associés à l’impact sur la biodiversité, à la dépendance aux ressources et à la proximité de milieux naturels. La méthodologie est conforme au TNFD, ont assuré l’UNEP et S&P lors de l’annonce (4).

Pression et divulgation

Nature Action 100

Dévoilé en parallèle de la COP15, ce regroupement international d’investisseurs souhaite sensibiliser les sociétés à l’importance de la biodiversité en dressant une liste de 100 entreprises avec lesquelles échanger. Les investisseurs participants se concentreront sur des sociétés de « secteurs clés qui sont jugés comme ayant  une importance systémique pour l’objectif d’inverser les pertes de nature et de biodiversité d’ici à 2030 ».

Les signataires fondateurs de Nature Action 100 sont les suivants : AXA Investment Managers, Columbia Threadneedle,  BNP Paribas, Church Commissioners for England, Domini Impact, Federated Hermes, Karner Blue Capital, Robeco, Storebrand Asset Management, Christian Brothers Investment Services et Vancity. Le secrétariat sera coordonné  par Ceres et l’Institutional Investors Group on Climate Change.

Le nom et le mode de fonctionnement de Nature Action 100 rappellent ceux de Climate Action 100+, une initiative semblable qui interpelle des sociétés sur la question climatique (et qui possède une déclinaison canadienne, Engagement climatique Canada).

Finance for Biodiversity Pledge

Cette initiative lancée à la fin de 2020 vise l’engagement d’institutions financières à l’égard de la protection de la biodiversité. Les signataires doivent s’engager à ce qui suit:

  • Collaboration et partage de connaissances
  • Dialogue avec les sociétés
  • Évaluation des impacts
  • Établissement de cibles
  • Divulgation de renseignements sur ce qui précède d'ici 2025

Au 4 juillet 2023, l’initiative comptait 140 signataires de 23 pays représentant des actifs sous gestion de 19 700 milliards d’euros (28 800 milliards $ CAD). Sur la question des cibles à établir, l’organisation travaille de concert avec l’Initiative financière du Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP FI) et le Science Based Targets Network.

Stopper la disparition d’espèces et d’écosystèmes est un immense défi collectif, d’autant plus que le temps  pour y parvenir est compté. L’intégration de cet impératif dans les pratiques d’investissement requiert un changement de paradigme important pour le secteur financier. En plus de poursuivre l’analyse de l’impact des facteurs ESG sur les sociétés, les investisseurs devront élargir leur approche pour mieux comprendre  l’impact des sociétés sur l’environnement.

(1) Étude semestrielle sur le sentiment ESG des investisseurs institutionnels canadiens 
(2) Les populations mondiales d’espèces ont décliné de 69 % depuis 50 ans
(3) Nature Risk Rising: Why the Crisis Engulfing Nature Matters for Business and the Economy 
(4) UNEP and S&P Global Sustainable1 launch new nature risk profile methodology

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