Entre la lutte contre l'inflation, les préoccupations autour d'une éventuelle récession et les événements géopolitiques, l'année 2023 a été marquée par des enjeux à la fois préoccupants et complexes. Yanick Desnoyers, vice-président et économiste principal chez Addenda Capital, offre des éclaircissements sur la conjoncture économique et aborde des points à surveiller en 2024.

Nous sommes passés d’un extrême à l’autre : d’un environnement où l’objectif était d’éviter une inflation trop faible, voire la déflation, à un autre où l’ennemi est une inflation galopante. Comment ce changement de régime affecte-t-il les marchés financiers?

YD: Jusqu’à la Grande Crise Financière de 2008 (GCF), les banques centrales avaient réussi à bien contrôler l’inflation. La faiblesse de l’inflation dans la foulée de la GCF a inquiété les banques centrales une première fois, puis la COVID les a amenées à surstimuler l’activité économique, faisant ainsi grimper l’inflation plus qu’elles ne le souhaitaient. Elles ont ensuite changé le cap de la politique monétaire pour maintenant lutter contre la hausse de l’inflation, ce qui a modifié la dynamique entre les actions et les obligations, les titres de dette ne faisant plus contrepoids aux actifs plus risqués. Pour la première fois depuis bon nombre d’années, ces deux principaux marchés ont reculé en tandem suivant la hausse de l’inflation.

La productivité de l’économie canadienne accuse du retard par rapport à celle des États-Unis. D’où vient cet écart et qu’entraîne-t-il comme conséquences?

YD: Il est vrai que la productivité de la main-d'œuvre de notre économie tire de l’arrière par rapport à nos voisins du sud. Les ratios d’investissement des entreprises au PIB sont nettement plus élevés aux États-Unis qu’au Canada, que ce soit en propriété intellectuelle ou même en machinerie et outillage. Une des principales conséquences de ces différences est un marché du travail plus inflationniste de ce côté-ci de la frontière. Par conséquent, l’inflation, surtout dans le secteur des services, serait appelée à être plus persistante qu’aux États-Unis l’année prochaine. (Les industries de services, qui représentent plus de 70% du produit intérieur brut du Canada, englobent les activités autres que l’extraction et la production de biens.)

Certaines manchettes laissent entendre que la hausse des taux expose les emprunteurs hypothécaires canadiens à un risque important. Qu’en est-il vraiment?

YD: Il est vrai que les taux hypothécaires ont augmenté beaucoup et rapidement au Canada. Cela dit, la situation des bilans des ménages n’est pas du tout homogène. Il y a 15 millions de ménages au Canada. Environ un tiers des ménages canadiens ont une hypothèque, un tiers louent un logement, alors que le dernier tiers est propriétaire mais sans dette. La hausse des taux d’intérêt ne touche donc pas les finances des ménages de la même façon, car certains sont emprunteurs mais d’autres sont prêteurs et bénéficient de la hausse des taux d’intérêt par des revenus de placement plus élevés. Parmi les détenteurs d’hypothèques, moins de 500 000 ménages ont contracté des hypothèques à taux et paiements variables si bien qu’en général, la moitié des détenteurs ne renouvelleront pas avant 2028. (Une analyse de la Banque du Canada est disponible ici.)

Un an et demi après l’invasion russe en Ukraine, un nouveau conflit militaire suscite l’inquiétude chez certains investisseurs : Israël et le Hamas. Quel effet la géopolitique a-t-elle vraiment sur l’évolution de l’économie?

YD: Le Canada est passablement isolé de tels conflits puisqu’il y a peu d’effets économiques directs par le truchement du commerce des biens et services, le Canada étant fortement exposé à l’économie des États-Unis et non à celles du Moyen-Orient.

Un impact plus senti sur l’économie canadienne pourrait survenir advenant une hausse importante et soutenue des prix du pétrole dans le cas où la production en Iran serait touchée. Il en résulterait une hausse du dollar canadien et une ponction des dépenses des ménages car les coûts de l’énergie augmenteraient. Règle générale, nonobstant les conflits géopolitiques qui se propagent, ces chocs ont plutôt des effets temporaires sur les marchés financiers, créant de la volatilité, et représentent plutôt des occasions à court terme que des risques à moyen terme. 

Faut-il ou non prévoir une récession au Canada?

YD: Étant donné les échéances des hypothèques au Canada, qui sont majoritairement d’au plus 5 ans, l’impact sur les ménages d’un resserrement de politique monétaire a deux fois plus d’effet qu’un resserrement similaire aux États-Unis, où les échéances sont généralement de 30 ans. En revanche, la politique monétaire chez nos voisins du Sud a un impact relativement mitigé sur le service de la dette des ménages. Ce faisant, les probabilités de récession aux États-Unis demeurent faibles, ce qui les abaisse également au Canada, car un revers de conjoncture au Sud de la frontière cause habituellement une récession au Canada.

Qui plus est, malgré la hausse des taux de la Banque du Canada, l’économie connaît une augmentation notable de sa population, de l’ordre de 3,0 %. Ceci vient contrecarrer, du moins en partie, les effets de la hausse des taux, car cette poussée démographique soutient les dépenses globales des ménages. Par conséquent, le scénario le plus probable au Canada demeure un ralentissement de la croissance économique et non sa contraction.

Malgré la hausse du taux directeur de la Banque du Canada, l’inflation demeure encore relativement plus élevée que la cible officielle. Que reste-t-il à faire pour ramener le taux d’inflation à 2 %?

YD: Certains progrès ont été réalisés alors que l’inflation fondamentale, selon Statistique Canada, se fixe désormais à 3,2 % contre un sommet de 5,5 % atteint à l’été 2022. Des taux d’inflation supérieurs à 3 % demeurent inacceptables, car ils peuvent influencer les règlements salariaux à moyen terme à des taux supérieurs à la cible de 2,0 %.

L’inflation dans les services, davantage liée à la dynamique des coûts dans le marché du travail, demeure toutefois plus élevée à presque 4,0 %. La moins bonne tenue de la productivité au Canada pourrait forcer notre banque centrale à resserrer un peu plus la politique monétaire de façon à s’assurer que la croissance des prix des services soit éventuellement plus basse et davantage compatible avec la cible de 2,0 %.

Que faudra-t-il surveiller dans les premiers mois de 2024?

YD: Le rythme récent de désinflation s’est montré encourageant au Canada alors que la variation annuelle de l’inflation fondamentale des biens s’est fixée à 2,4 % en septembre. Il s’agit là d’une nette amélioration, car rappelons-nous-en, le sommet avait été atteint à 5,8 % à la fin du deuxième trimestre de l’année dernière. La hausse passée des taux d’intérêt de la banque centrale y est pour quelque chose. À surveiller toutefois, les prix des maisons ont cessé leur descente et les derniers mois ont même montré des redressements, ce qui pourrait ralentir la descente de la composante de l’inflation liée à l’hébergement.

Finalement, des données plus favorables de croissance de productivité de la main-d'œuvre seraient bienvenues au début de 2024 alors que ces dernières se sont passablement éloignées de leur tendance de long terme depuis bon nombre de trimestres. Cela procurerait un certain soulagement à la Banque du Canada, qui n’aurait pas à trop affaiblir la croissance économique pour atteindre la stabilité des prix.

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