Depuis les élections de mi-mandat aux États-Unis les taux obligataires des échéances de 2 ans, 10 ans et de 30 ans ont chuté de 1,16 %, 1,21 % et de 0,93 % respectivement. Ces taux s'établissent maintenant à 1,81 %, 2,03 % et 2,53 % (graphique 1). À l'arrière-plan, le taux cible de la Réserve fédérale s'élève à 2,375 %, inchangé depuis la dernière hausse en décembre dernier. La structure à terme actuelle des taux suggère que le taux cible de politique monétaire serait abaissé de 0,66 % d'ici la fin de 2019 et que la baisse totaliserait près de 1,00 % en octobre 2020. À sa réunion du 19 juin, la Réserve fédérale a laissé entendre qu'elle pourrait amorcer ce cycle baissier sous peu. La narration des investisseurs derrière ces mouvements de marché évolue autour de deux thèmes : l'impact néfaste de la guerre commerciale sur la croissance mondiale et une erreur appréhendée de politique monétaire.


Après avoir appuyé l'économie sans limites, ou presque, pour la sortir de la Grande Récession, la Fed a ensuite décidé qu'il était temps de ramener le taux cible à un niveau qu'elle estime neutre, c'est-à-dire ni restrictif ni stimulant pour l'économie. En début janvier, quelques semaines après la dernière hausse du taux cible, la Fed a affirmé qu'elle jugeait que le taux se situait maintenant à la borne inférieure de la plage estimée du taux neutre. Elle s'attendait alors à devoir surveiller patiemment l'évolution de la conjoncture avant d'envisager d'autres ajustements.

Certains investisseurs en obligations demeurent convaincus que la Fed a surestimé le niveau du taux neutre. Ils postulent que les deux dernières hausses étaient de trop et qu'elles risquaient d'engendrer une récession. À ce jour, les indicateurs de la conjoncture ne confirment pas cette thèse. Certes, les hausses de taux ont affecté certaines composantes du PIB : l'investissement résidentiel et les ventes d'automobiles stagnent depuis quelques trimestres mais sans plus. Quand la politique monétaire est vraiment restrictive, à l'abord d'une récession, ces éléments s'affaissent, ce qui est loin de la réalité actuelle. Qui plus est, la consommation des ménages a ralenti au premier trimestre mais cela semble surtout la conséquence de la rigueur du climat. Au deuxième trimestre, avec deux mois de données, nous constatons que la consommation aurait rebondi de façon spectaculaire, contredisant ainsi la thèse que les taux freineraient déjà dangereusement la croissance (graphique 2). De cette perspective, le niveau actuel des taux ne semble pas un obstacle à la poursuite de la reprise.

L'autre thème, celui de la guerre commerciale, demeure une menace. À chaque nouvelle saute d'humeur du Président Trump qui aboutit à l'imposition de tarifs, aux représailles et aux menaces fréquentes d'escalade, la confiance des chefs d'entreprise s'effrite (graphique 3). Ici, une précision s'impose. C'est la confiance des chefs des grandes entreprises, plus redevables du commerce international, qui est en cause. Dans la petite et moyenne entreprise, qui s'adresse davantage à l'économie intérieure, la confiance des entrepreneurs reste somme toute élevée. Pour la conjoncture, la perte de confiance des chefs de grandes entreprises explique la chute de l'investissement en machinerie et équipements au premier trimestre et qui semble s'aggraver au deuxième trimestre (graphique 4). Cette composante de la demande globale soustraira beaucoup à la croissance du trimestre actuel. Ceci dit, l'économie des États-Unis est une grande économie diversifiée où l'emploi du secteur manufacturier ne représente que 8,2 % de l'emploi total. L'impact net au niveau global de l'économie serait un ralentissement temporaire de la cadence de la croissance.


Le malaise affligeant présentement le commerce mondial provient d'une blessure auto infligée par les mesures protectionnistes décrétées par l'administration des États-Unis. Ce malaise ne peut se dissiper que si les principaux acteurs décident d'agir pour désamorcer le conflit. À notre avis, la détérioration de la confiance des chefs d'entreprise et des perspectives d'investissement n'ont rien à voir avec la posture actuelle de la politique monétaire.

Cette situation pose actuellement un sérieux dilemme à la Réserve fédérale. La pression des marchés qui militent pour des baisses de taux est très forte, mais baisser le taux cible risque fort d'être un remède inefficace pour rétablir la confiance des chefs d'entreprise. À ce stade avancé du cycle, il est même possible que cette mauvaise prescription puisse s'avérer néfaste pour la stabilité financière et l'inflation future. Par contre, l'inflation actuelle de base, à 1,8 %, reste légèrement sous la cible de 2,0 % et la banque centrale semble craindre que les attentes d'inflation pourraient se désancrer à la baisse. Cette faible inflation perdure parce que même si les salaires annuels moyens croissent de 3,2 %, la poussée récente de la productivité maintient la croissance des coûts unitaires de main d'oeuvre à près de 0 %, ce qui empêche l'inflation de remonter à la cible. Si les gains de productivité sont soutenus, l'inflation cyclique restera dormante et le dilemme de la banque centrale persistera. Sinon, l'erreur appréhendée de politique monétaire pourrait ne pas être de la même nature que ce que les marchés anticipent aujourd'hui.

 

Auteur(s)
Abdullah Rahman
Analyste principal, Intelligence d’affaires et recherche quantitative
Yanick Desnoyers
Chef stratège économique
Benoît Durocher
Vice-président directeur et stratège, Revenu fixe
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