Auteur : François Desjardins, rédacteur
En collaboration avec : Duncan Mathieson, CFA, vice-président directeur, Actions canadiennes

 

Les campagnes invitant les investisseurs à délaisser le secteur des combustibles fossiles ont certainement stimulé la discussion concernant le rôle du secteur financier dans la transition climatique. Mais compte tenu des mesures à mettre en place au Canada pour réduire les émissions, est-ce la bonne chose à faire ?

Bien que nous comprenions que cette décision, pour certains, en est une d’éthique et de valeurs, nous croyons que le désinvestissement est un dernier recours, car :

  • Il abandonne la possibilité d’entretenir un dialogue constructif au sujet des mesures requises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES);
  • Il cible les émetteurs et/ou les producteurs plutôt que de considérer le problème dans son ensemble, soit la dépendance générale de l’économie aux combustibles fossiles;
  • Il passe sous silence une réalité qui changerait la donne si on la rappelait plus souvent : les sociétés pétrolières et gazières indépendantes ne représentent que 30 % de la production mondiale, et les producteurs nationaux pourraient avoir l’impression qu’ils peuvent désormais fonctionner un peu plus à l’abri des regards.
  • Addenda Capital partage l’objectif des partisans du désinvestissement: une société carboneutre d’ici 2050. Mais nous croyons que les gestionnaires de portefeuille ont une occasion unique : ils peuvent utiliser le portefeuille comme levier pour produire un véritable impact sur la transition. Autrement dit, une approche qui priorise le dialogue auprès des entreprises afin de les inciter à réduire leurs émissions tout en générant, pour les clients, des rendements intéressants ajustés au risque. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, nous avons décidé de passer à l’étape suivante en lançant le Fonds commun Addenda de transition climatique — actions canadiennes et le Fonds commun Addenda de transition climatique — actions mondiales.

 

Participer à la discussion

Nombreux sont les investisseurs qui ont choisi de ne pas se départir de leurs placements. Selon une enquête internationale menée en 2018 auprès de 439 investisseurs institutionnels1, dont des gestionnaires d’actifs, des banques et des caisses de retraite, « le désinvestissement a été la mesure la moins utilisée lorsque les investisseurs étaient insatisfaits des réponses fermes » offertes par les entreprises à la suite d’un dialogue (seulement 17 % ont choisi de se retirer dans de telles circonstances). D’autres ont poussé le dialogue encore plus loin (21 %), ont choisi de couvrir le risque (23 %) ou n’ont pris aucune mesure (40 %).

Par exemple, la quatrième fondation en importance dans le monde, la Wellcome Trust du Royaume-Uni (actifs sous gestion de 26 G£), a récemment déclaré qu’elle choisissait d’être un « investisseur actif »2 plutôt que de procéder à un « désinvestissement unique ». Cela permet à ses dirigeants d’entretenir un dialogue actif avec des sociétés qui ont tracé la voie vers des mesures de transition, une approche que Wellcome Trust appelle « être dans la salle », mais aussi de désinvestir lorsque la direction de l’entreprise en question ne fait pas les efforts nécessaires.

Rappelons que les sociétés pétrolières indépendantes ne représentent qu’environ 30 % de l’approvisionnement mondial en pétrole et en gaz naturel. Cela les rend vulnérables aux pressions sociales et à l’humeur des investisseurs. Mais comme l’a écrit le Groupe d’experts sur la finance durable en 20193 : « Le désinvestissement de ces sociétés publiques transfère essentiellement la part de marché des producteurs minoritaires les plus obligés d’agir de manière responsable et transparente, à des producteurs en position de monopole qui ne sont pas assujettis à de telles obligations. » Ou, comme l’a mentionné un directeur général dans le sondage mené en 2018 auprès des 439 investisseurs, « si nous cédons les actions, d’autres investisseurs les achèteront et rien ne changera ». Au final, l’impact sur l’approvisionnement mondial s’avère marginal.

 

Une transition globale

Le débat sur le désinvestissement repose en partie sur l’idée suivante : fermer le robinet des capitaux mènera vers un monde carboneutre en limitant graduellement le financement de l’exploitation des combustibles fossiles et le développement futur des réserves. Nous abordons la question dans une perspective plus large.

La campagne de désinvestissement omet d’envisager la transition que le Canada devra lui-même mettre en oeuvre, un virage nécessitant des investissements massifs et une planification minutieuse afin d’en maximiser l’impact. Des milliers d’emplois sont en jeu, sans compter les sociétés et les sous-secteurs qui dépendent encore des produits pétroliers comme intrants. En 2019, les trois secteurs économiques responsables de la plus grande part des émissions de gaz à effet de serre au Canada étaient le pétrole et le gaz (26 % des émissions totales), le transport (25 %) et les bâtiments (12 %).

D’innombrables entreprises ont déjà planifié les mesures nécessaires à la transition. À la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, par exemple, la direction a reconnu dans sa circulaire de sollicitation de procurations de 2021 « qu’une nouvelle technologie de propulsion des locomotives est nécessaire pour procéder à la décarbonisation requise afin d’atteindre la carboneutralité d’ici 20504 ». « Nous reconnaissons également l’importance de la collaboration avec les gouvernements, les partenaires des chaînes d’approvisionnement, les universités, les entreprises de technologies propres, les producteurs de carburant, les constructeurs de locomotives et les fabricants de moteurs afin d’effectuer une transition efficace vers un avenir à faibles émissions de carbone. […] Des discussions sur les possibilités d’électrification des voies et de trains propulsés à l’hydrogène ont déjà cours ».

Mais dans bien des cas, ce travail de transition nécessitera le soutien des investisseurs, et c’est là que le secteur financier joue un rôle crucial. « Bien que le gouvernement ait mis de l’avant un plan et des politiques clés pour soutenir la transition du Canada vers une économie à faibles émissions de carbone, le rôle des marchés financiers dans la conduite de ce changement n’a pas encore été pleinement exploité. », écrit le Groupe d’experts sur la finance durable dans son rapport de 20193. « Notre secteur financier possède une expertise, une ingéniosité et une influence essentielles, qui peuvent être mises à contribution pour relever les défis que posent les changements climatiques. »

 

La voie à suivre

Que la notion de désinvestissement reçoive un appui à grande échelle souligne ceci : l’activité humaine doit changer, ce qui entraînera un remaniement radical de notre quotidien, et la transition vers un monde carboneutre est non seulement souhaitable, mais nécessaire. Les partisans du désinvestissement considèrent qu’il s’agit en fin de compte d’une étape cruciale dans la transition économique vers une économie mondiale qui n’est pas largement alimentée par les combustibles fossiles.

Notre stratégie se veut plus constructive et c’est dans cette optique que nous vous invitons à nous suivre. Notre approche à l’égard de la transition climatique a jusqu’ici écarté l’idée d’un désinvestissement généralisé. En tant qu’investisseurs, nous nous concentrons sur la façon dont nous pouvons investir de façon à stimuler et, espérons-le, à accélérer la transition nécessaire tout en continuant de répondre aux exigences des clients en matière de rendements ajustés au risque.

 

1 The Importance of Climate Risks for Institutional Investors
2 Mental health, climate and disease: Wellcome Trust’s Director of Strategy on tackling our big health threats
3 Rapport final du groupe d'experts sur la finance durable
4 CN Essentiel — circulaire de sollicitation de procurations et avis de convocation à l'assemblée annuelle des actionnaires

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